dimanche 26 février 2012

Les Anonymous : «Internet est né libre et doit le rester»



C’est une interview d’un genre nouveau.

Vendredi soir, une centaine d’Anonymous a accepté de répondre à nos questions sur un canal IRC (un salon virtuel de discussion sécurisé).

Chaque réponse a été rédigée de façon collective et après débat, seul moyen, selon eux, d'éviter les avis individuels et non représentatifs.

Organisé avec France Info, Le Mouv’, Owni.fr et une société de production audiovisuelle, cet entretien permet d’en savoir plus sur un mouvement en pleine mutation qui agite Internet depuis des mois.

Pourquoi avez-vous opté pour cette forme d’interview ?
Nous sommes Anonymous, il n'y a pas de « Je ». Ici, nous rédigeons des réponses en nous basant sur ce que dit le collectif. Une voix ne vaut pas plus qu'une autre. Tout le monde se concerte et les décisions se prennent avec la masse ! Bien sûr, on ne peut pas prétendre représenter exactement une structure décentralisée (comme les Anonymous, ndlr), mais cela permet d’en avoir une idée générale, une tendance.

Pourquoi tenez-vous tant à l’anonymat?
Par souci de sécurité, aussi bien sur le net que dans la vraie vie. Les Anonymous risquent parfois une lourde sanction pénale, voire pire dans certains pays. Nous protégeons tous nos identités pour continuer à exprimer nos idées. L'anonymat permet aussi d’imposer le principe d'égalité. Il n'y a aucun a priori si on ne connait pas la personne. Tous les arguments sont pris en compte de la même façon. Depuis la fermeture de Megaupload, vous avez enregistré l’arrivée de nouvelles recrues ? Nous avons en effet constaté un afflux important de personnes voulant adhérer à notre idéologie. Nous avons ouvert spécialement un salon IRC pour accueillir les nouveaux arrivants, afin de pouvoir leur expliquer notre fonctionnement. Ils peuvent ainsi s'informer, dialoguer avec nous et participer s'ils le souhaitent. Mais Anonymous ne dispose d'aucune structure hiérarchique : les discussions se font toujours via les différents salons du réseau IRC, les sites ou les forums qui relayent les informations et où se discutent les différentes opérations.

Vers une coupure mondiale d’Internet le 31 mars ?
Il y a quelques jours, le web a découvert l’« Op. GlobalBlackOut ». Des internautes se réclamant du mouvement Anonymous ont annoncé vouloir attaquer les 13 serveurs racines d’Internet (l'infrastructure qui soutient Internet, ndlr) et engendrer ainsi une coupure mondiale le 31 mars. Mais pour nos interlocuteurs, « cette opération n’a aucune crédibilité. Tout simplement parce qu’Anonymous n’a nullement l’intention de rendre indisponible un outil que nous utilisons au quotidien et que nous défendons fermement ». D’autant que « cette opération est techniquement irréalisable et reflète le triste niveau des gens qui l’ont annoncée.

Comment peut-on résumer votre combat ?
Anonymous se bat pour les libertés, la justice et respect de la dignité humaine, le droit à l'anonymat et le respect de la vie privée de chacun, sur Internet comme ailleurs. La liberté est un droit auquel rien ni personne ne peut s'opposer. Anonymous dénonce toutes les censures existantes, HADOPI, ACTA, SOPA, PIPA (des lois ou projets de lois français, européens et américains qui, selon eux, menacent la liberté sur Internet, ndlr) qui nuisent à la liberté de chacun. Internet est né libre et doit le rester. La connaissance et le savoir n'ont de valeur que s'ils sont partagés par tous. Nous mettrons tout en œuvre pour préserver ce droit. Nous ne faisons que défendre des principes fondamentaux. Avec les manifestations dans la rue, le mouvement est-il en train d’évoluer ? Rien n'empêche un individu de prendre part à une manifestation. Elles permettent de créer une passerelle entre le virtuel et le réel. Anonymous est une idée née du monde virtuel pour vivre dans le monde réel... Les manifestations permettent au public d’accéder aux messages des Anonymous de façon directe. Le mouvement gagnant en ampleur, celui-ci veut naturellement gagner en visibilité et se séparer de son image principale de hackers. Nous utiliserons tous les moyens que nous jugerons bons et nécessaires pour défendre nos idées.

Anonymous et les sites pédophiles
Anonymous s'est attaqué à des sites pédophiles, notamment avec l'« Op. DarkNet» en octobre 2011 qui a permis de dévoiler plus de 1200 identités. Mais le mouvement en a tiré une leçon: «Il s'est avéré que ça n'a pas eu que des effets positifs sur l'enquête de police, rendant les preuves accumulées non recevables devant un tribunal. Ainsi nous avons aujourd'hui pour mot d'ordre de ne plus intervenir ce sur genre de terrain, même si nous méprisons les personnes s'adonnant à ce genre de pratique.»

A l’approche de la présidentielle, que pensez-vous de la classe politique en France ?
Les politiques ont un raisonnement et une logique qui ne s'appliquent pas au monde numérique. Il faut repenser tout un système plutôt que de s'accrocher à quelque chose qui s'essouffle. ... Le monde dans lequel nous évoluons va beaucoup plus vite que celui que nous connaissions il y a 10 ou 20 ans. En ce qui concerne nos libertés, qu'elles soient numériques ou non, nous serons présents pour leur rappeler les valeurs démocratiques et les droits du peuple lors de nos actions et des manifestations.

Comment voyez-vous l'avenir de votre mouvement ?
Si les gouvernements et les grandes industries prennent en compte de l'avis des peuples, si dans le futur les dirigeants deviennent transparents, alors Anonymous n'aura plus de raison d'exister. Mais au moindre nuage sur la paix et la sécurité de l'Internet, Anonymous continuera de faire entendre sa voix. Les luttes seront les mêmes qu'aujourd'hui, même si nos moyens de revendication et de communication évoluent. Nous serons toujours là pour garantir ce que l'on appelle la « neutralité du net ».

source : Le parisien